Randonner avec un âne autour du Mézenc

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Aujourd’hui j’ai le plaisir d’inviter Emmanuel Delmas de l’excellent blog http://www.sommelier-vins.com/ qui va nous raconter sa randonnée avec un âne. Un récit touchant, plein d’humilité . N’hésitez pas à faire un tour sur son blog, il connaît très bien son sujet !
Je lui laisse tout de suite la parole :

J’ai découvert les randonnées il y a 6 ans avec un groupe d’amis, alors plus jeunes et sportifs que moi. Je n’avais que 4 années chez les louveteaux de France et 2 années chez les scouts d’Europe étant jeune, je partais presque de zéro.

LA GENÈSE

6 jours de randonnée, avec 8 autres personnes, jeunes et sportives. Je pensais que ça passerait, mais dès la 1ère demi-journée, j’avais pris très cher. 0 souffle, en souffrance, mal aux genoux dans les descentes…4 heures difficiles. Alors quand j’apprenais que les 5 prochains jours proposaient de 800 à 1600 m de dénivelés, soit 3 fois plus, j’étais au bout de ma vie. J’ai vraiment pris sur moi durant cette semaine, mais au fur et à mesure, je puisais au fond de moi et j’y ai pris du plaisir! J’ai adoré sortir de ma zone de confort. En arrivant à la voiture après 6 journées dans les refuges, mon sac à dos cassait ! Tel un symbole. Je me suis dit ‘On remet ça, mais en pire, l’an prochain!

La vie a fait que je ne les ai pas suivi. 5 ans après, soit l’an dernier je décidais de partir seul à la Bérarde au pied de la face Sud de la Meije dans les Ecrins. Depuis ces 6 jours en Mercantour je n’avais plus randonné. Minéral à souhait, majestueux. Ce fut fantastique ! Mais impossible de bivouaquer, ce fut une frustration. Une fois cette expérience terminée, je voulais repartir. Je prévoyais ainsi un nouveau départ en randonnée pour bivouaquer cette fois-ci au printemps suivant.

LE BIVOUAC SEUL EN PLAINE NATURE, UN VRAI SEUIL PSYCHOLOGIQUE À FRANCHIR

Mon objectif ? Bivouaquer ! Avec les scouts d’Europe, à 16 ans, j’étais parti en raid woodcraft tout seul pendant 24h. Donc ce fut fait, mais jeune. Nous ne sommes pas aussi ‘apeuré’ qu’adulte.

A la Bérarde je croisais régulièrement des ânes, et je me suis souvenu à quel point j’adorais ces bêtes. Touchantes, mignonnes, expressives, je restais à les observer…

PARTIR AVEC UN ÂNE, TELLE UNE ÉVIDENCE

C’est alors qu’en Novembre 2017 je décidais de partir avec un âne, quelques jours. J’avais pris la décision de faire moins majestueux et plus ‘plat’ que la haute montagne. J’optais pour le Mont Mezenc et ses sucs. Entre 1100 et 1650 m quand même. J’ai choisi de partir avec un âne de chez Chik’anes, tout près du Mezenc. J’ai pas mal échangé par mails pour en connaitre davantage sur ces animaux, leurs réactions, comment s’en occuper.

DÉPART FIN MAI 2018 REPORTÉ A FIN AOÛT

J’avais projeté de partir en Mai, malheureusement, après deux grosses sciatiques, une hernie discale fut dévoilée à l’IRM. Je perdais ma mobilité. Impossible de me lever sur la pointe des pieds à gauche, je boitais de plus en plus, ma jambe devenait plus faible, l’intervention fut réalisée très vite début Mai. 20 séances de rééducation plus tard, je décidais quoiqu’il arrive de partir en Août. Je boitais toujours mais un peu moins chaque jour. Il faudra du temps pour récupérer toute ma mobilité, entre 1 an et 2 ans.

LA PRÉPARATION

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Faire ses tracés, avec une carte IGN 1/25000, 2836 OT (Gerbier du Jonc-Mezenc-Vivarais). Puis avec le curvimètre, il est plus juste de jauger les distances. J’avais projeté de faire des journées de 15 à 20 kilomètres par jour. Un âne avance en moyenne à 4 kilomètres de l’heure. Vérifier l’importance des dénivelés afin d’éviter les mauvaises surprises. Repérer les possibles lieux de recharge de nourriture, et d’eau. Là-bas peu de boutiques, il fallait donc prévoir ma nourriture.

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SANS CETTE ÂNESSE, IMPOSSIBLE DE RANDONNER

Quand j’avais décidé de partir en Octobre, tout allait bien, je voulais juste être accompagné d’un âne pour m’ancrer davantage dans la nature et me sentir sécurisé la nuit. Et le sort a décidé que cette ânesse, Avoine me deviendrait indispensable. En effet, je boitais pas mal encore, et avec un sac de 12 kilos et les dénivelés, je n’aurais pas pu remplir mes objectifs. La vie est bien faite !

PARTIR AVEC UN ÂNE, ÇA ENGAGE À QUOI ?

L’âne est un animal formidable, capable de faire le dos rond, de prendre sur lui, patient, et pas si têtu que cela. Il ne se met pas en danger, il va juste vous tester un peu au début. Partir avec lui c’est le découvrir, mais surtout se découvrir soi-même. C’est à la fois se sentir sécurisé, mais aussi l’accompagner et le rassurer également. Le binôme formé est passionnant, parfois intense. Cette relation est magique.

Il faut savoir l’observer, entendre ses messages, et tenter de comprendre ses réactions. Et le rassurer. Le bruit des motos faisait peur à Avoine au début. Je la rassurais, et lui parlais souvent, je lui expliquais où on allait, et l’encourageais. Je lui laissais le temps de s’arrêter de temps en temps, je la caressais régulièrement. Elle se manifestait parfois aussi, le matin en me voyant elle semblait contente de me voir en poussant quelques cris.

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UN ÂNE IL FAUT S’EN OCCUPER ET LUI DONNER DU TEMPS

  • Mettre son bât (en bois, c’est lui qui accueille les sacs, et les maintient sur le dos son dos) n’est pas chose si aisée, pour moi. J’ai un peu galéré je l’avoue. Peser les sacs, et bien les disposer afin que le poids soit parfaitement réparti.
  • Le brosser, l’âne adore cela ! On le brosse au départ mais aussi à l’arrivée, pour s’assurer que le poil soit parfaitement lisse, pour son confort.
  • Lui curer les sabots, avant et après, est une opération très importante afin de s’assurer qu’aucun caillou ne se soit inséré dans les sabots, au risque de blesser l’âne. Cette opération demande un coup de main, je maîtrisais plutôt bien l’opération.
  • Monter et démonter son enclos. L’âne a besoin de bien manger, une belle herbe, de l’espace, qu’on va lui délimiter avec des piquets et une corde. Il ne s’échappera pas si l’herbe est belle, et verte. N’oubliez pas…il ne se met pas de lui-même en danger.

Etonnament l’âne doit boire régulièrement mais j’ai remarqué que rarement il buvait l’eau que je lui donnais. Ou même dans les petits torrents, ou l’eau des fontaines. En fait, l’herbe fraiche surtout le matin regorge d’eau, issue de la rosée.

LA DIFFICULTÉ DE TROUVER UN LIEU DE BIVOUAC

Autour du Mezenc je n’ai pas eu trop de mal à trouver un lieu où bivouaquer. Un grand bois, et l’affaire était dans le sac. Un grand enclos pour Avoine, et des arbres pour protéger ma petite tente, et le plaisir était total.

En revanche le deuxième soir fut compliqué car les dénivelés plus importants, et surtout tous les espaces étaient clôturés. Il ne me restait guère plus de deux heures avant que la nuit tombe, je décidais de revenir en arrière et de frapper aux porte des trois maisons dans le hameau près de la Borée. Une femme me proposait un terrain pour l’âne et pour y planter ma tente. J’ai été réactif, ce fut nécessaire. La difficulté avec un âne est donc de trouver un terrain suffisamment grand pour l’accueillir et pour poser votre tente. Il est donc vraiment important de bien chercher les lieux de bivouacs possibles, à l’avance. Ce que j’avais fait pourtant, mais j’avais mal appréhendé ce coin.

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LE MATERIEL POUR L’ÂNE

L’âne peut porter jusqu’à 30 kilos sur le dos. Mes deux sacs pesaient au total 12 kilos. Le bât pèse quelques kilos, les piquets et la ficelle pour l’enclos 2 kilos, le bidon d’eau 5 kilos. Brosses, racle sabot, licol, et longes font aussi partie du matériel. La nourriture pesait 2 kilos. Tout ce matériel est inclus dans la location.

L’ÂNE S’EST SAUVÉ DEUX FOIS !

L’animal est capable de faire le dos rond, et toutes ses réactions émanent de votre comportement, de vos prises de décisions. Le 1er jour j’ai croisé un ânier avec un groupe d’ânes et de randonneurs. Nous avions discuté. J’ai fait confiance à Avoine en fin de journée lorsque je montais son enclos, en décidant de ne pas l’attacher à un arbre avec sa double-longe. Au bout d’une heure elle est partie et j’ai dû lui courir après. Problème : l’âne court plus vite ! Calmement, je l’ai rejointe et j’ai remis la longe, je n’étais pas content mais je ne me voyais pas lui hurler dessus. Je lui ai expliqué que ce n’était pas bien, mais que je n’aurai pas dû lui faire confiance. Un animal reste sauvage et si vous lui donnez une liberté, il saura en profiter. C’est ma prise de décision qui a entraîné sa réaction.

Le dernier jour, je décide de me rapprocher au plus près de chez Avoine, à cinq kilomètres pour en profiter jusqu’au dernier moment. Je repère un bois, et continue jusqu’au lac de Saint Front. J’attache Avoine et la laisse une heure brouter. Je la détache, elle se sauve mais la rattrape facilement, et la force à revenir en arrière vers le bois où j’ai décidé de bivouaquer. Décide de l’attacher pour la brosser, lui curer les sabots, et ne l’ai jamais vu aussi énervée.

Je lui propose de la promener brouter à travers le bois. Rien n’y fait. L’enclos est magnifique, très grand. En me couchant, j’ai comme un pressentiment : elle va se sauver dans la nuit. Je ne comprends pas les messages qu’elle m’envoie. Pourquoi s’énerve-t-elle autant ? Que se passe t’il ?

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A 5h je me lève et plus d’Avoine dans l’enclos ! 2 piquets sont défoncés, à deux endroits différents. Elle n’a pas cherché à fuir, elle a eu l’opportunité de partir. Je l’ai cherché partout dans le bois sans l’apercevoir. Je me suis souvenu qu’un âne ne se met jamais en danger. J’envoie un message à l’ânière qui ne me répond que 2 heures après. J’avais décidé de lever le camp, de cacher les affaires et de la rejoindre.

L’ânière n’était pas inquiète car elle ne m’a pas senti stresser outre mesure. Elle me dit qu’Avoine n’était jamais partie 4 jours, et qu’elle était habituée à ne partir qu’à la journée en randonnée entre chez elle et le lac. En partant hier à l’opposé autour du lac, elle me signifiait « Emmanuel, je connais le chemin par coeur, je rentre chez moi ». Je ne l’avais pas compris, et tout concordait. Une heure après, sur le chemin du retour, je retrouvais Avoine sous un arbre au dessus du chemin de randonnée. Chemin coupé par une corde, qu’elle ne pouvait pas franchir. J’étais si heureux de la retrouver que j’ai fait le selfie* ! Je l’ai raccompagné chez elle…

L’ÂNE RÉVÈLE VOTRE NATURE PROFONDE

Quelle aventure !! Avoine m’a permis de comprendre bien des choses sur moi mais aussi sur les ânes, sur les relations qu’entretiennent les personnes entre elles. Les relations avec les animaux sont tellement constructives.

Chaque matin j’étais ému de repartir avec elle, la sensation était fantastique, je la guidais, et je la sentais derrière moi marcher à notre rythme, je me retournais souvent, pour l’encourager, la remercier, lui parler, ou la caresser. Je ressentais beaucoup de fierté d’être capable de guider cette randonnée, de pouvoir gérer les choses. S’occuper de soi est déjà difficile, mais accompagner une ânesse, ou un âne demeure une lourde responsabilité.

Il se tisse au fur et à mesure une véritable relation, à condition de donner un peu de soi-même. L’âne n’est pas uniquement un porteur, dans ce cas-là, il n’y a que peu de sens à retirer. Il est votre compagnon, votre binôme, capable de donner de lui, de faire le dos rond, de vous rassurer, et de vous faire sentir moins seul. Il vous permet de mieux vous enraciner dans la nature, de prendre le temps, car vous marchez à son rythme.

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Mais attention, il faut aussi bien maîtriser le matériel pour ne pas perdre trop de temps, ce qui ne me fut pas si facile. Ainsi, parfois j’ai ressenti un peu de stress, et eu par instants du mal à profiter à fond de l’expérience, à lâcher prise. C’est normal, ce fut ma première expérience, et s’occuper de l’âne réclame une certaine confiance en soi. J’en ai sans doute manqué, au début et Avoine l’a ressenti. Il faut donc se détendre, reprendre confiance, et rassurer l’animal, et tout repart.

CE QUE J’AI RETIRE DE CETTE EXPÉRIENCE

J’ai appris tant de choses ! À propos de l’âne mais aussi et surtout, à mon sujet. Malgré quelques petits moments de doutes, à aucun moment je n’ai paniqué.

L’ÂNE, QUEL CAPITAL SYMPATHIE !

Pour profiter à fond de cette formidable expérience, il est nécessaire de se préparer et d’être à l’aise avec le matériel, les nœuds, pour profiter à fond de cette relation que vous tissez avec l’animal. L’âne bénéficie d’un capital sympathie hallucinant. Chaque personne croisée s’arrêtait et voulait caresser Avoine, dans les yeux des enfants brillaient la joie et la surprise. Ces instants sont magiques, et donnent un autre sens à ce type de randonnée. Celle du partage.

C’est dans ces moments avec l’âne que vous partez à la rencontre de votre nature profonde. Si on m’avait dit que je parlerai autant à Avoine, que je l’encouragerai aussi régulièrement, ou que j’étais capable de la rassurer, tout en prenant soin d’elle comme de la prunelle de mes yeux, j’aurai été vraiment étonné, et pourtant !!

Alors, merci Avoine pour tout ce que tu m’as donné ! Et je vous encourage toutes et tous à partir à votre rencontre en compagnie d’un âne, vous allez adorer !

*

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Son blog :
http://www.sommelier-vins.com/

 

 






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